Religions et Histoire

Virginie Lerot, janvier-février 2013

De l’édition originale du Second enfer d’Étienne Dolet (1509-1546), parue à Troyes en 1544, il ne reste qu’un exemplaire. Pourquoi ? Parce que l’œuvre et son auteur furent livrés au bûcher, condamnés par l’Inquisition et le parlement de Paris. L’imprimeur et poète humaniste fut accusé d’hérésie, de luthérianisme. S’il est peu probable qu’il ait été luthérien, il est en revanche certain qu’il fut hérétique, au sens premier du terme : il fit un choix, celui de rester fidèle à ses principes, à son refus du fanatisme et de l’injustice.
Le précieux ouvrage publié au printemps 2012 par Pierrette Turlais rend hommage à cette grande figure de l’humanisme français. Autour des textes (en français du XVIe siècle et en français contemporain) du Second enfer et des deux dialogues platoniciens traduits par Dolet qui accompagnaient celui-ci lors de sa première édition, plusieurs essais critiques et une chronologie détaillée permettant au lecteur de mieux pénétrer l’époque, de démêler les causes du procès de Dolet, celles de sa condamnation. Dans le Second enfer, Dolet, qui vient d’échapper à ses geôliers lyonnais et s’est réfugié dans le Piémont, lance un appel au roi et à ses anciens protecteurs. Il plaide sa cause, exalte la liberté, la justice, la bonté du roi aussi. La sincérité et l’urgence sourdent des vers, comme un cri jeté sur le papier. Un cri du vouloir vivre qui, comme l’avait deviné le malheureux Dolet, a su triompher de la mort et du temps. L’essai de Michèle Clément, débordant le cas particulier du procès de Dolet, offre une vue d’ensemble sur la question des bûchers dans la France de François Ier, pointant avec finesse les responsabilités, les enjeux, les intérêts des différentes parties ; celui de Florian Rodari dresse le portrait d’un imprimeur agitateur, engagé dans son temps, luttant pour la diffusion du savoir et la défense de la langue française − même s’il était, par ailleurs, un amoureux du latin – et contre les préjugés, la sottise, la calomnie. Jean-Marc Chatelain esquisse ensuite un parallèle stimulant entre L’Enfer de Clément Marot, publié de manière significative par Dolet quelques années auparavant, et le Second enfer de ce dernier. Enfin, un entretien avec le professeur Milad Doueihi propose une réflexion générale sur l’humanisme, l’hérésie et l’édition, du XVIe au XXIe siècle. Des gravures de l’époque et des pages empruntées aux rares livres imprimés par Étienne Dolet ayant survécu aux autodafés illustrent l’ensemble du volume, couleur de suie et de feu. Extraordinairement moderne dans sa conception, ce livre est un pur objet de désir pour les bibliophiles. Il n’a été tiré qu’à 250 exemplaires, mais son contenu est accessible sur le site de l’éditeur, preuve de sa volonté farouche de diffuser le savoir, comme le souhaitaient les humanistes de jadis, mais en usant des procédés techniques les plus contemporains.